VIVIAN MAIER, GANDALF ET MA POMME
Il y a quelques jours, une amie m'a partagé cette lecture par Ian McKellen d'une lettre de l'auteur Kurt Vonnegut oh combien inspirante dans laquelle il invite à pratiquer toute forme d'art quel qu'il soit sans but d'en tirer gloire ou fortune, mais simplement pour se découvrir et faire grandir son âme.
Cette vidéo, je la garde précieusement et l'écoute de manière régulière, dès que ce fameux "à quoi bon ?" se réveille dans ma tête. Et il se réveille très souvent. Car j'ai beau apprécier l'Art des autres dans tout ce qu'il a à offrir en matière d'émotions, dès que c'est moi qui me met à créer ou à envisager de créer, je ne peux m'empêcher de me demander "pour quoi faire ?", "qui cela va intéresser ?", "pour qui te prends tu ?", "tu crois vraiment que quelqu'un voudra acheter ta photo ou lire ta prose ?", "tu crois vraiment que quelqu'un en a quelque chose à foutre de ton avis sur l'Art ?". Alors cette vidéo me sert de carte joker que j'affiche à la face de ce penchant de ma personnalité dès qu'il devient trop bavard.
Quelques temps après la lecture de cette vidéo, j'ai découvert la page instagram Mare Incognitum dont l'auteur est un gars qui raconte des histoires d'une telle manière qu'il rendrait la lecture de la recette de la blanquette de veau ou d'une notice pharmaceutique en coréen parfaitement captivante. La vidéo qui m'a fait découvrir cette page dresse le portrait d'une femme photographe à l'histoire incroyable nommée Vivian Maier.
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Vivian Maier - Autoportrait |
Née à New York d’une mère française et d’un père américain, Vivian Maier travaille pendant quarante ans comme nounou dans différentes familles, notamment à Chicago. En 1952, elle fait l’acquisition d’un appareil photo Rolleiflex qu’elle trimbale partout avec elle, bien calé autour du cou, et avec lequel elle immortalise des scènes de rue, des portraits d’inconnus et des autoportraits.
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Vivian Maier - Le selfie au Rolleiflex avant l'avènement du téléphone portable |
Ce qui me frappe le plus dans les portraits que Vivian Maier tire d’inconnus qu’elle croise dans la rue, c’est sa faculté à accrocher un regard, une attitude, et ce peu importe l’origine sociale de la personne photographiée. Capter cet instant fugace qui bien souvent révèle l’âme d’une personne est ce qu’il y a de plus difficile à réaliser en photographie de rue car il résulte d’un savant mélange d’œil photographique, de technique, d’anticipation et d’empathie. Je pense, et ça n’engage que moi, que sans empathie, sans amour des gens, une photographie de portrait aussi réussie techniquement soit elle manque de poésie et d’impact émotionnel.
Mais alors me direz-vous, quel est le point commun entre le discours de Ian McKellen, Vivian Maier et ma pomme ?
Et bien figurez-vous que Vivian Maier, aussi douée était-elle, n’a jamais vécu de son art, et ne l’a d’ailleurs jamais partagé. Son travail serait probablement resté dans l’anonymat le plus complet si un jeune homme, président d’une société historique locale à la recherche de photographies pour illustrer un livre sur Chicago, n’avait fait l’acquisition en 2007 lors d’une brocante, de plus de 30 000 négatifs appartenant à Vivian Meier.
En observant les négatifs dont il vient de faire l’acquisition, ce jeune homme, John Maloof, sent bien qu’il tient là quelque chose de spécial. Un professeur d’art confirme ses impressions. Maloof décide alors de publier un livre Vivian Maier, Street Photographer suscitant de nombreux articles dans la presse américaine qui contribuent grandement à son succès.
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Le livre Vivian Maier Street Photographer |
Et le succès devient légende quand on prend conscience que Vivian Maier a au cours de sa vie réalisé plus de 120 000 photographies de rue, dont une majorité sans les avoir vues elle-même faute de moyens financiers pour développer ses négatifs, sans jamais avoir cherché à montrer les quelques tirages qu’elle a tout de même pu faire, et sans avoir jamais parlé de son travail ou tenté d’en tirer profit.
La voilà la relation entre le discours de Ian McKellen et l’histoire de Vivan Maier. Pratiquer un art pour soi, sans chercher à le faire reconnaitre ou le monnayer, juste parce qu’on aime ça, que ça nous procure des émotions, du bien-être, et que sans cela on se sent incomplet. Le cas de Vivian Maier est encore plus incroyable quand on réalise qu’elle n’a jamais vu le résultat final de la majeure partie de ses clichés. Un peintre peut toujours admirer ses tableaux, un poète relire ses vers, un écrivain relire ses chapitres, un photographe à l’heure du numérique regarder ses photos dès qu’il en a envie…mais un photographe argentique, si ses photographies ne sont pas développées ne verra jamais le résultat final. Il y a je trouve quelque chose de triste dans le fait que l’on puisse admirer les photos de Vivian Maier sans qu’elle n’ait jamais eu l’opportunité de le faire elle-même. Mais c’est évidemment cet aspect là de son histoire qui la qui rend exceptionnelle. |
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